ENTRE L’UTOPIE ET LE SOUVENIR

par PAOLO REPETTO

le compositeur Francesco Hoch

Quelle importance peut avoir la musique? Quelle intensité peut-elle posséder, cette forme absolue et ineffable? Quelle est sa valeur, où est sa force, quel est son sens? Le mythe le plus ancien et le plus beau que nous connaissions consacré à la musique et à la poésie, celui d’Orphée, nous raconte et nous enseigne que son pouvoir peut être infini, que sa force peut être immense; et que les riches volutes évanescentes de sa forme incompréhensible peuvent embrasser toutes choses. Avec le chant de sa lyre, Orphée est le symbole le plus élevé de l’importance, de la valeur, de l’utopie du son. Grâce à la force de ses mélodies, il peut transformer les choses; les humaniser, les illuminer. Il peut changer la mort en vie, la matière en esprit, les ténèbres en lumière. Il peut renverser la logique du monde. Au contact de sa musique splendide, le mal devient bonté, la férocité mansuétude, l’inertie animation, le lourd léger, le petit grand, le monumental métamorphique. Rien ne peut rester intact après être avoir été touché par sa magie, rien n’est plus comme avant. Comme nous l’enseignent tous les grands philosophes, l’art musical peut ainsi être l’art parfait, la forme la plus élevée, le geste suprême au-delà de l’apparition des choses. De présence invisible et fragilissime qu’il est, l’art musical peut devenir une force concrète, capable de transformer et d’améliorer le monde.

Quand Francesco Hoch commença à composer ses premières œuvres, vers 1970, il était imbu, comme tant d’autres artistes et intellectuels de son temps, de l’utopie de la musique, il était convaincu du pouvoir magique du son. Comme beaucoup de ses collègues et amis, il était persuadé que la notion d’art impliquait l’obligation de se colleter aux problèmes réels, de se fondre dans le tissu de la société; il était convaincu que la forme de la musique pouvait susciter une confrontation authentique et vivace avec le corps bizarre du monde. Comme celui d’Orphée, leur esprit était imbu du rêve de l’utopie, de la faisabilité d’un geste artistique qui serait quête de pureté, d’égalité, de paix, de justice. La pratique esthétique, selon eux, ne pouvait se limiter à une forme simple, à une image gratuite, à un mouvement abstrait et lointain. A travers les sons, les couleurs, les mots ou les images, toutes les formes du Beau devaient converger vers le cœur battant de la réalité. La main de leurs idées — si engagées, si neuves — voulait caresser le visage de la société avec la poigne énergique d’un amant jaloux. Mais ce rêve ne dura que quelques années, cette noble utopie ne tint que quelques décennies. Tout était si difficile. Tout devenait extrêmement compliqué. Si effilée qu’elle fût, toute volonté s’émoussait contre les dures parois de la contingence. Comme Eurydice, le corps bien-aimé du réel s’évanouit progressivement, se perdit dans les labyrinthes paradoxaux de l’Histoire et disparut dans un vide presque insondable. La mort semée par la marchandisation, les pièges de la société de consommation — vantés en flattant les instincts les plus bas et les plus élémentaires de l’homme — reléguèrent cette union rêvée au rang d’un mythe magnifique et irréalisable. A l’heure qu’il est, l’exploitation commerciale d’une prétendue culture de masse a renvoyé notre Eurydice dans un enfer d’une affligeante banalité.

Comme beaucoup de ses collègues, Francesco Hoch ne peut que se réfugier dans une position d’étrangeté, de distance, face à la frénésie de la consommation et à l’invasion de la musique commerciale. Là où tout est superficialité, homologation, et où chaque chose est proposée en termes excessivement simplifiés, quel sens peut encore avoir un art élaboré, une forme choisie, méditée, pleine de pensée et de réflexion? Là où tout est pornographie — pornographie insidieuse, psychologique et affective, qui ne parle qu’à l’animal et récuse l’ange captif en nous —, quelle emprise peut avoir une musique qui n’est ne plus simplement mélodique, mais profondément complexe et articulée? Quel sens peut-il y avoir à concevoir de tels sons, de nos jours? Quelle raison peut s’imposer devant l’incompréhension de tant de gens face à la musique contemporaine? Le rêve d’Orphée est-il devenu trop compliqué, ou est-ce Eurydice qui a été enlevée par une puissance trop forte et trop obscure?

Cette scission dramatique et inédite est certainement survenue pour une raison fondamentale: aidés par une publicité et une diffusion poussées, les produits de consommation facile ont énormément réduit le niveau moyen de l’attention et du respect, ce complément rituel de l’attention, fondé sur le sacrifice, attitude indispensable pour comprendre et aimer les œuvres contemporaines — ou celles de n’importe quelle civilisation, d’ailleurs. Il est vrai, cependant, que dans leurs conceptions, les avant-gardes ont parfois poussé trop loin la complexité et le cérébralisme. Le fait est que la situation actuelle de la musique contemporaine est absolument dramatique: peu de gens l’écoutent, peu la respectent ou savent l’apprécier. Alors qu’aux siècles passés on écoutait essentiellement la musique de son temps, les programmes de nos salles de concert sont tous bâtis sur les fondements commodes du souvenir et de l’archéologie. Comme l’écrit parfaitement Hoch: «De nos jours, personne ne songerait à interdire les manifestations de la recherche artistique en les taxant de dégénérées, comme l’ont fait les nazis ou, pour d’autres raisons, les communistes. Nous ne sommes pourtant pas si loin du prohibitionnisme, parce que l’interdiction se produit en fait sous des prétextes économiques: dans la mesure où ils ne génèrent pas de bénéfices importants, les messages de l’avant-garde et du postmodernisme sont effectivement marginalisés. Cette musique est tolérée, par exemple, même avec bienveillance, mais elle est réduite à vivre dans son coin. On a tendance aujourd’hui à voir dans ces nouvelles formes d’art le fruit du travail de personnes qui appartiennent à un passé lointain et qui sont donc dépassées par les méthodes actuelles de production de biens de consommation.»

Au début des années 1970, où Hoch se mit à concevoir ses premières œuvres, le vaste panorama de la culture n’était pas encore divisé si dramatiquement entre un ciel élevé, pur, inaccessible, et un monde excessivement simpliste et commercialisé. C’était l’époque «autour de l’indétermination» perdant laquelle les différents expérimentateurs et novateurs, dont Hoch, s’étaient avancés jusqu’au confins de l’aléatorisme et des timbres raffinés, où la forme de la musique semblait ne trouver de justification qu’à travers les jeux du hasard et le sourire de l’improvisation. Si, dans les années 1950 et 1960, le structuralisme avait incité à concevoir des sons peut-être excessivement froids, géométriques et calculés, cette indétermination, ce hasard étaient programmés en revanche pour atteindre la rive opposée, celle d’une liberté incontrôlée. Pour ces raisons, et face à ces recherches extrêmes, plusieurs compositeurs revinrent à des positions plus modérées et redécouvrirent une musique moins expérimentale et plus méditative.

Pendant la décennie 1970-1980, Francesco Hoch revint aussi à l’écriture classique, gardée par les sentinelles bienveillantes du pentagramme traditionnel, pour tester les rapports multiples de la composition avec les «divers types de matériau musical». Formé sous le magistère de Franco Donatoni, qui lui inculqua entre autres une conscience critique extrêmement attentive et profonde, Hoch a toujours été convaincu de l’importance que le geste artistique ne soit jamais fin en soi, jamais gratuit; l’expression musicale, l’artisanat du son doivent toujours être validés par une recherche exacte et une réflexion nourrie. Les possibilités du compositeur sont véritablement immenses, une fois dépassé la musique tonale, les lignes mélodiques de la tradition, l’harmonie classique basée sur des tierces superposées, la pan-tonalité, le corset du dodécaphonisme. Il y a la musique concrète — qui anoblit le bruit —, la musique électronique — capable de reproduire artificiellement n’importe quel son ou presque —, il y a surtout la musique pour les instruments traditionnels, celle que Hoch préfère par-dessus tout, mais dans une perspective inédite particulière. A partir d’une musique dite «figurée et à travers des œuvres importantes comme Riflessioni sulla natura di alcuni vocaboli (1972/74), Arcano (1975/76), Trasparenze per nuovi elementi (1976), Figura esposta (1977), il élabore un langage parfaitement original qui, sur des prémisses informelles, se structure en motifs et figures amples, «comme un croisement entre la conception linéaire traditionnelle et la nouvelle notion de groupe ou d’agrégat». Il y a d’une part, dans ces œuvres, la fascination d’une matière sonore extrêmement libre, ouverte, grise, qui se superpose à un jeu de lumières dans une réverbération vaporeuse de timbres, et, de l’autre, des noyaux légers, des poussières colorées, qui s’ouvrent et se combinent pour donner un enchevêtrement de motifs et créer des correspondances précieuses, des figures mystérieuses. Dans une très belle œuvre un peu plus ancienne, Dune (1972), pour violon, violoncelle, piano, percussion et deux voix, c’est la vision même du sable, sa consistance, sa couleur, son parfum et sa chaleur qui nous enchantent d’un mouvement élégant et sinueux. Transfiguration de signes, changement de valeurs — les timbres voilés des voix dialoguent et se confondent avec le velours des cordes —, métaphore libre d’une présence fluide, quasi ineffable, qui se forme et se défait, prend corps puis disparaît dans un souffle du vent.

Comme dans la peinture abstraite, Hoch semble rechercher dans ces musiques un univers matériel saturé de lumière et envahi d’un désordre ordonné. Comme un Pollock des sons, il affronte avec orgueil la surface blanche du temps. Il creuse la lumière, taille dans la matière, défait et reconstruit la structure des mesures. Il dessine des courbes mélodiques infinies. Il agence un contrepoint serré de lignes, taches, traces, signes, gestes, couleurs. Un chaos prend forme, une forme se délite en chaos. Les signes des notes précises, nettes, propres, se superposent dans un magma ordonné qui explore le temps, en fouille les confins, en le dépassant comme une flèche lyrique vibrante et impétueuse. Tout est ordre, tout est chaos. Comme le grain de sable agité frénétiquement par le vent, la note de Hoch — à la sonorité scintillante et minuscule — dessine des trajectoires improbables, des frontières hypothétiques, des lignes élégantes et bizarres. La fleur du timbre devient rythme, la courbe serrée des mélodies rebondit en grains d’air, comme des éclats de son, le temps explose en une polyphonie de couleurs invisibles.

Mais quelle relation peut-il y avoir entre invention et répétition? entre le chaotique, l’«informel», et l’ordonné, le «figuratif»? Certes, dans ces œuvres, la figure musicale s’établissait comme limite magique entre l’idée traditionnelle de «motif» et celle, beaucoup plus récente, d’«agrégat» informel, explorant même, dans un «pied-de-nez au danger», les correspondances et les liens existant dans le répertoire infini de toute la musique du XXe siècle. Dans ce sens-là, il y a toujours, dans la musique de Hoch, quelque chose d’apollinien, de lumineux, de géométrique, qui dialogue avec une fureur dionysiaque, des ténèbres aveuglantes faites d’écheveaux, de tresses, de grains sonores — tantôt explosifs, tantôt «implosés». C’est une antithèse qui cherche la conciliation, un double en quête d’harmonie, d’unité. Dans cette perspective, Hoch essaie entre 1980 et 1983 un nouveau procédé compositionnel qu’il appellera «ostinatos variables». Cet oxymore heureux, ce paradoxe lyrique exprime toujours la recherche d’un équilibre, l’harmonie entre des éléments apparemment inconciliables. On y trouve des structures fixes, ordonnées, à caractère de motif, qui dialoguent avec des passages plus ouverts, plus improvisés et plus libres. Le parcours sonore part de halos figuratifs, de figures schématiques, à la manière de De Kooning — peintre que Hoch apprécie particulièrement — pour se confondre et disparaître dans une marée de signes impétueux et de gestes foudroyants. Ainsi, dans des œuvres comme Leonardo e/und Gantenbein (1980-82) — spectacle multimédia pour ballet, projections, cinq instruments et trois voix —, Lo specchio e la differenza (1982) pour violoncelle et contrebasse, et surtout dans la série des quatre œuvres de chambre intitulées chacune Ostinato variabile — pour clarinette basse (I), clarinette basse et piano (II), deux guitares (III), violon et piano (IV), certaines sections manifestement prédéterminées — les ostinatos, justement — sont exposées avant de se dissoudre rapidement dans une fantaisie ample, une transgression lyrique du projet original.

Mais quel impact ont eu ou pouvaient avoir ces compositions si belles, si raffinées, sur un public toujours plus éloigné de la musique contemporaine? Quelle emprise peuvent avoir sur la société des formes si précises et délicates, dans un monde toujours plus étranger aux choses de l’esprit et au rituel de l’attention? Artiste profondément conscient de sa tâche politique, de sa mission sociale — l’ordre et la magie de la beauté ont le devoir d’éduquer les âmes, l’éthique naît de l’esthétique, et non le contraire, comme le prônent les Charons de la modernité —, Hoch s’est senti blessé par la baisse d’attention du public — baisse causée surtout par un goût dévoyé, ravalé au niveau banal des produits de la consommation frénétique. Quel sens peut avoir un art, une musique qui parvient à peine à dialoguer avec l’océan de la société — un océan terriblement pollué par les modes? Quel sens peut-il y avoir de donner vie à une forme si celle-ci n’est perçue ou aimée que par un petit nombre de personnes? Si son rêve était d’imprégner la réalité de ses sons, si son idéal était de communiquer avec le tissu social à travers le message de ses musiques, quel rêve ou idéal peut résister devant l’indifférence apparente du monde? Pour ces raisons, l’artiste romantique s’était réfugié dans un univers abstrait, lointain, détaché des contingences de l’actualité. Pour ces mêmes raisons, l’art — et non sa banale exploitation commerciale — a toujours été réservé à un petit nombre.

Si l’esprit délicat de Hoch, son côté orphique, aimable et utopique, semble avoir souffert de cet éloignement du monde, le geste esthétique du compositeur — qu’il soit négatif ou positif — continue à questionner les énigmes de la société et les paradoxes de l’histoire, sans la moindre perspective religieuse et sans issue métaphysique. Aussi le «temps de la dissolution, où les structures se dissolvent jusqu’à ce que chaque élément soit isolé au bord du gouffre, du vide et du néant» caractérise-t-il les œuvres suivantes, de 1983 aux années du «silence» (1987-1989), où la métaphore citée du vide et du néant se transforma en réalité insoutenable. Parce qu’elles sont justement forgées dans ce désespoir et dans un langage complètement ouvert au lyrisme et aux épanchements de l’inconscient, des œuvres comme Endlich (1884) pour piano, Kurzatmend (1985) pour flûte et clarinette, Sans jeu (1985) pour clarinette et piano, et Sans (1985) pour hautbois et orchestre —considéré par l’auteur lui-même comme une sorte d’œuvre dernière, où le matériau sonore acquiert une présence physique et une vitalité éclatante — comptent effectivement parmi les musiques les plus sublimes écrites en Europe à l’époque. Ce sont des musiques où, le discours lié à l’espoir d’utiliser des langages construits s’étant dissous, se révèlent des tensions inédites, des grains d’électricité, des mélodies enflammées, des écheveaux harmoniques, le tout fondu et soudé par la température élevée de l’inspiration.

Vers le milieu des années 1960, d’autres compositeurs importants, proches de Hoch, avaient été tentés par le silence, ou s’y étaient résignés volontairement, comme Evangelisti; d’autres encore optèrent pour les poétiques les plus radicales du négativisme, créant des blocs de son, des cloisons de métal, des cascades contrapuntiques inextricables — apparentées aux Cubi d’acier effilés et imposants de David Smith —, qui esquivent toute possibilité de dialogue dans leur inconstance exquise. Dans quelques œuvres d’une verticalité prodigieuse, Donatoni, Clementi, Schnebel, avaient ainsi choisi et imaginé une musique de sphinx, bloquant toute communication, quelle qu’elle fût. Pour des raisons analogues, Hoch choisit à partir de 1989, après ses années de silence, un trajet paradoxal, conçu comme un travail posthume, post mortem, contemplant à travers ses compositions le monde, la société, l’histoire, à partir d’une poste d’observation virtuel, «méta-historique», «méta-réel». C’est un jeu de la conscience qui veut s’extraire du présent impossible pour se projeter dans un espace privé de temps, une réflexion ouverte, lyrique, au-delà de l’impact social effectif, une culture du posthume, qui s’imposait «comme distance du regard sur le monde et unique possibilité de survie, grâce à une vie dans un au-delà qui voie le monde à travers la transparence du verre de son propre cercueil.» Ainsi, à partir de Il mattino dopo (1986) pour orchestre — sorte d’autobiographie musicale où entendre «la naissance et la dissolution de ma musique figurée» —, en passant par les Sette bagatelle d’oltretomba (1990) pour orchestre, le Tableau Infernal (1990) pour chœur et orchestre, Der Tod ohne das Mädchen (1990) pour quatuor à cordes — conçu dans un pessimisme radical, un «schubertisme» complètement inversé — jusqu’aux grandioses Memorie da Requiem (1991/92) pour chœur, soprano et orchestre, Hoch grave son inspiration pessimiste dans les pierres scintillantes que lui offrent miraculeusement, petit à petit, les frontières du temps, de l’air, de la mémoire et de la nuit. Comme un Chateaubriand des sons, en fait, il se délecte de la contemplation distante, détachée, désillusionnée qu’il peut effectuer sur le monde, à travers un espace mental tout encombré de tensions sociales concrètes. C’est une période créative où, dégoûté de la vie, comme le dit Karl Kraus, il renaît paradoxalement à travers un suicide qui lui rend la vie.

La sagesse chinoise dit: «Pour être heureux une heure, bois une bouteille de vin! Pour l’être un an, épouse une belle femme! Pour être heureux toute ta vie, cultive un beau jardin!» Déçu du cours des choses et profondément sceptique désormais quant au pouvoir de la musique face aux réalités sociales, Hoch a revu aujourd’hui, avec un sourire bouddhiste, la valeur du désenchantement, de la légèreté, de la grâce, de l’ironie — la faculté même d’éluder les questions — pour redécouvrir le jardin où il s’épanouit: lieu de méditation, de souvenirs intenses, espace tout parfumé, où les couleurs innombrables qui traversent sa pupille se transforment en guirlandes de lumière et de son. A partir de 1994 et jusqu’à ce présent impie, sa musique est revenue ainsi à une vision peut-être plus passionnée, mais beaucoup plus ironique, de la vie, vision qui tisse un réseau dense de relations entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’individu et le monde. Dans The Magic Ring (1995/2002), par exemple, monumentale pièce multimédia pour trois voix de femmes, trois voix d’hommes, trois guitares électriques, trois percussions et bande magnétique, il observe et commente le grand spectacle de la Bourse: sa réalité impitoyable, ses sens anciens, son pouvoir immense, ses instincts primitifs — indiqués directement par des termes célèbres comme «ours» (bear), «taureau» (bull), «taupe» (mole), «canard» (duck) —, le tout inscrit dans un «anneau magique» à la fois mythique et réel, et parcouru par une musique, des images et des mots qui interagissent en neuf «séances» (entre un prologue et un épilogue) mêlées dans un tissu sonore extrêmement ambitieux, riche, articulé, qui s’élargit à partir de clusters dramatiques pour culminer dans des hymnes solennels; la musique peut enfler d’un choral mystique et d’une douce berceuse jusqu’au cri le plus métallique et le plus dur.

Mais ce jardin magique retrouvé est aussi le cadre privilégié de réflexions plus intimes, plus discrètes, plus amicales; c’est un grand coquillage ramassé sur les plages désertes du temps et rempli de parfums et de sons, dans lequel Hoch aime contempler les échos de son histoire personnelle et les réverbérations d’une mémoire infinie. C’est un lieu de méditation profonde: «L’univers en tant que cosmos régulier et ordonné ou comme prolifération chaotique. L’univers peut-être fini, mais innombrable, instable dans ses limites, qui ouvre en lui d’autres univers. L’univers, ensemble de corps célestes, de nébuleuses, de poussière d’astres, de champs de force, intersection de champs, ensemble d’ensembles...» L’univers fascinant et bizarre dont parle Calvino dans son admirable Palomar, interrogation sur les formes et les étoiles, étude exacte, à la fois lyrique et géométrique, scientifique et poétique, d’un monde étranger et tout proche, méditation sur l’apparence et la profondeur des choses, a inspiré au talent musical de Hoch une Suite splendide pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano (1995-97), où la solidité de symétries préétablies dialogue avec une invention libre et spontanée, où, comme les martinets décrits par Calvino, les notes et les sons se rassemblent et se dispersent dans l’azur du ciel, s’ouvrent et se referment, s’isolent et se multiplient, sur les courbes magiques d’un vol immense, tantôt concave, tantôt convexe, tantôt tonal, tantôt atonal. C’est une Suite de danses fictives, une ronde de planètes éloignées et imaginaires,- dans un délire équilibré de forces opposées, qui vont de sons primitifs, «géologiques», proches du bruit à la mélancolie incandescente de la citation d’un thème très doux de la famille Schumann, qui court souterrainement comme un «aboiement de fidélité» au cœur d’un reflet nocturne poudreux. C’est en somme une série de morceaux dans un jeu de correspondances, une fresque de poussières stellaires — en sept parties symboliques —, où l’utopie sonore de Hoch a émigré peut-être définitivement des continents de l’Histoire aux cieux lyriques du souvenir. (Traduction: Jacques Lasserre)


Catalogue (Sélection): Riflessioni sulla natura di alcuni vocaboli per orchestra da camera (1972/74) Idra per 11 archi (1974) Arcano per coro a cappella su testo dellĠautore tratto da Marx (1975/76) Figura esposta, Interazione di 5 elementi per 20 esecutori (1977) Quando è quasi una fantasia per quartetto dĠarchi (1980) Leonardo e/und Gantenbein, Spettacolo multimediale per danza e proiezioni, per 5 strumenti e 3 voci su testi di Max Frisch e Leonardo da Vinci (1980-82) Sans per oboe e orchestra (1985) Un Mattino per due flauti (1986) Der Tod ohne das Mädchen per quartetto dĠarchi (1990) Sette bagatelle dĠoltretomba per orchestra (1990) Postludio degli spettatori per coro di voci bianche o voci pari o voci miste su testo del compositore (1991) Memorie da Requiem per soprano, coro e orchestra su stesti del compositore (1992) Due Pezzi per pianista solo (1993) PŽchŽ dĠoutre-tombe per clarinetto e quartetto dĠarchi (1993) La passerelle des fous per cinque attori, tre soprani e strumenti (1994/95) Canti e danze dai nuovi gironi per 13 strumenti (1995) Der hoffnungsvolle Jean und der Moloch, Una fiaba popolare del nostro tempo su testo dellĠautore tratto da «Die Schweiz wäscht weisser» di Jean Ziegler per due recitanti, coro recitante e due percussioni (1995) Au Futur-PassŽ? per voce e orchestra su testi del compositore (1971-1996) Da sotto lĠonda per oboe, clarinetto, fagotto corno e pianoforte (1996) Suite «Palomar» per flauto, clarinetto, violino, violoncello e pianoforte (1996-97) The Magic Ring, Opera per 6 voci, 3 chitarre elettriche, 3 percussioni, nastra 8 canali e scene video. Testo di Francesco Hoch Su gentile invito per violino e violoncello (2000) Doppio concerto per violoncello, pianoforte e orchestra (2001-02) Duo dal doppio per violoncello e pianoforte (2001-02)

Website Francesco Hoch:www.musicedition.ch/composers/19d.htm