Keersmaeker et McGregor à Paris : danses inégales
« Rain » – Anne Teresa de Keersmaeker. Musique de Steve Reich (« Music for eighteen musicians ») – Opéra Garnier
« Anatomie de la sensation » de Wayne McGregor. Musique de Mark Anthony Turnage (« Blood on the Floor ») – Opéra Bastille
Ballet de l’Opéra de Paris
L’Opéra de Paris accueille – enfin – Anne, la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker. L’événement est exceptionnel car elle confie pour la première fois l’un de ses spectacles les plus emblématiques à une autre troupe que Rosas. La scène circulaire de Garnier constitue un écrin idéal pour cet entrelacs de lignes multicolores qui sert de repère visuel aux danseurs avec, tout autour, quelques chaises et un rideau serré de cordes façon « rideau Empire ». L’ensemble Ictus interprète Music for eighteen musicians (1976) de Steve Reich, pièce largement dédiée aux percussions, avec interventions discrète des voix de Synergy Vocals. Le nombre de danseurs fluctue en fonction des variations dynamiques de la musique. Une subtile grammaire de gestes épouse étroitement les impulsions rythmiques, avec des figures récurrentes comme ce fléchissement lascif du corps vers l’arrière ou bien les formes douces et arrondies que dessinent les bras levés au dessus de la tête. L’ensemble est irrésistiblement ludique et jubilatoire, aux antipodes de la stricte réflexion théorique et mathématiques qu’on aurait pu imaginer d’après la partition. La troupe de l’Opéra de Paris apporte à la pièce un aspect « lissé » qu’on peut comparer au travail d’incarnation plus marqué en général dans le travail de Keersmaeker. Ceci dit, la combinaison fosse-plateau est remarquable d’équilibre, on ne peut que rendre les armes devant un spectacle d’une telle qualité.
Wikipedia sur le ballet Rain de Anne Teresa de Keersmaeker : Cliquez ici
Anatomie de la sensation de Wayne McGregor, extraits :
L’enthousiasme retombe quelque peu avec la mal nommée Anatomie de la sensation de Wayne McGregor, sur une musique de Mark Anthony Turnage (Blood on the Floor). On aurait du mal à retrouver dans les toiles de Francis Bacon ou dans l’ouvrage éponyme de Gilles Deleuze une quelconque parenté avec le travail du scénographe britannique. La syntaxe chorégraphique évite soigneusement toute allusion à la violence insidieuse et la brutalité indécente de corps mis à nu, littéralement écorchés vifs sous le pinceau de Bacon. L’accent se porte sur une relative sophistication, fil rouge d’une série de tableaux enchaînés sans répit. L’absence de lisibilité des scènes de groupe est d’autant plus dommageable que les duos sont, eux, particulièrement réussis – notamment celui de Marie-Agnès Gillot et Audric Bézard. La musique n’incite pas non plus à la réflexion existentielle, présente dans la référence esthétique et picturale. Tout au plus se contentera-t-on de remarquer le surlignage systématique d’une session de jazz très envahissante et une spatialisation sonore très sommaire. On peine à croire que l’ensemble intercontemporain et le remarquable Peter Rundel aient pu participer à cette entreprise…
(10 août 2011)